A partir du mot “Passeport”, et de cette photo, faire une description.
Une quinzaine de passeports sont étalés sur le plateau du colonel Lourdan; lourdeau ou lourdingue comme on l’appelle plus communément derrière son dos, des surnoms qui reflètent son tempérament davantage que son physique qui, lui, évoque une tige de poireau aux extrémités fatiguées retombant comme les branches d’un saule pleureur… la splendeur apaisante en moins.
Lourdeau s’est absenté juste après avoir sorti le plateau aux passeports et l’avoir posé à angle droit du coin avant gauche de son bureau.
Jacques sait que lourdingue le teste. Bougera, bougera pas ? Touchera, touchera pas ?
L’arrivée récente de Jacques a permis au bataillon de remporter ses deux plus beaux coups d’éclat depuis une décennie. Et cela, lourdingue ne l’encaisse pas.
Deux mètres trente, quarante au maximum, séparent Jacques du plateau. S’il se trompe, il est bon pour un aller simple en Sibérie au nom d’une fictive coopération des armées de terre. S’il choisit le bon document, il sera promu et pourra choisir son affectation. Une partie de Risk à la sauce lourdeau !
Jacques ne bouge pas.
Rien ne distingue les passeports : zéro trace d’usure, zéro bords dentelés ou coins cornés. Ils sont lisses, frappés, pour ceux qu’il parvient à distinguer, de logos et mentions étatiques d’usage.
Lourdan est un finot, mais tout malin qu’il se croit, Jacques se sent plus habile et compte sur les habitudes et les biais cognitifs de son colonel. C’est pourquoi il prête une attention particulière à son environnement : lignes droites, angles à 90 degrés, parallélisme et perpendicularité omniprésents, formes carrées et rectangulaires prédominent, émergeant de toute part, plongeant, à leur insu, les visiteurs dans un monde de règles, de principes et de consignes dont l’ordonnateur serait le colonel Lourdan en personne. Les teintes chocolat et beige renforcent l’ordre déjà écrasant de la pièce. Rien à voir avec le bureau de son grand-père Émile se dit Jacques dans un éclatant sourire intérieur.
Tout général qu’il était son bureau était chaleureux, « foutraquement ordonné » rétorquait-il aux grincheux des surfaces planes; les murs disparaissaient sous les photos des pays et des villes où l’armée l’avait envoyé; partout, des figurines et des souvenirs. Émile était un homme entier, un militaire dans l’âme qui savait rester jovial avec ses hommes, proche des locaux. Personne ne craignait d’être appelé dans son bureau. Tout le contraire de lourdingue !
Soudain, au souvenir du caractère de son grand-père, Jacques sait comment il peut éviter le piège tendu par Lourdan !
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